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(EN ATTENDANT LA MORT)

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LEWIS FUREY

7 juin 2009
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LEWIS FUREY
l'idole d'un jeune
Lewis FureyLewis Furey © Turan Photo promo trouvée à l'intérieur d'un exemplaire du 1er album de Lewis Furey (1975)

"Alors où le situer ? Le plus près que je peux trouver, c'est à mi-chemin entre Jonathan Richman et Marc Bolan, si jamais un tel endroit existe" (Fred Dellar, dans sa chronique de "The humours of... Lewis Furey" dans le New Musical Express, en 1976)

Certains artistes ont droit à une rubrique régulière dans Vivonzeureux! (Jonathan Richman, Howe Gelb,...), mais pas Lewis Furey car, s'il compose sûrement toujours, il a arrêté depuis des années d'interpréter lui-même ses chansons et de sortir des disques.
Mais historiquement, après avoir "éduqué" mes goûts musicaux en écoutant ce que mes amis avaient à me faire découvrir, ce qui a passé par une période Beatles marquée à 14 ans, mais pas par un goût du hard-rock, qui dominait pourtant tout le quartier, à commencer par mon frère et mes meilleurs amis, Lewis Furey a été le premier artiste auquel je me suis intéressé de très près, au point par exemple d'acheter tout ce qui se publiait sur lui, de Rock & Folk à Paris Match et de Première à Atem. Le premier d'une longue liste aussi, à propos duquel je me suis retrouvé "minoritaire" dans mon entourage (avant Costello, The Cure, Magazine, Devo, pour ne parler que de cette époque !)

Dans cet article, on mentionnera des personnalités aussi diverses que Leonard Cohen et Petula Clark, Kurt Weill et Michel Berger, Céline Dion et Cat Stevens, Mirwais et Michel Polnareff, Carole Laure et Jean-Claude Vannier. N'en soyez pas surpris ! Ca reflète plutôt bien le parcours de Lewis Furey, de l'underground new-yorkais au succès de Starmania, du Canada, où il est né, à Paris, où il vit depuis 1977.

Tout a commencé un mercredi après-midi de l'automne 1977. J'étais devant la télé à regarder l'émission "Un sur cinq", une sorte de magazine pour jeunes présenté par ?, et l'un des invités était Lewis Furey. Après quelques mots de présentation, il s'assoit au piano pour jouer la chanson "Hustler's tango", et - visiblement c'était du vrai direct - le son se coupe au bout de quelques mesures. Il est revenu se jucher sur un tabouret pour parler très naturellement avec le présentateur quelques instants, puis il a pu interpréter sa chanson (en fait le "tube" ultra-underground de son premier album) et ça y était, j'étais conquis, peut-être tout autant par la simplicité et le calme avec lesquels il avait fait face à la panne que par la musique elle-même.

Lewis Furey dans Rock & Folk, 1977
Peu de temps après, je suis allé à Paris avec ma maman - peut-être bien l'une des premières fois où je m'y rendais - et je réussis à me faire emmener à la FNAC rue de Rennes pour acheter ou me faire offrir... un album de Lewis Furey bien sûr !
J'en trouvais deux, en plusieurs exemplaires sur un présentoir, et, ne connaissant rien à sa discographie, je choisis "The humours of... Lewis Furey", le deuxième (bêtement, car il s'agissait du pressage français, sans les paroles, alors qu'elles figurent sur le pressage original).
Après les courses, nous avons rendu visite à des cousins de Paris. Mon cousin - plus âgé, il entamait des études de médecine - m'a demandé ce que j'avais acheté comme disque et, quand je lui ai sorti le Lewis Furey, il a dit qu'il venait de passer en concert au Palace, mais que c'était fini depuis la veille. Dommage, sinon il aurait pu m'y emmener...
Bien sûr, il n'était pas prévu qu'on reste une nuit à Paris, mais quand même, je regrette toujours un peu que nous ne soyions pas allés à Paris deux jours plus tôt !

Donc, je venais d'acheter le deuxième album de Lewis Furey. Quelques mois plus tard, pour mes quinze ans, je me faisais offrir le premier album, tout simplement intitulé "Lewis Furey". Je l'avais lorgné pendant des semaines au Hi-Fi Club, le magasin un peu spécialisé de Châlons, à 51 F, c'est à dire plutôt cher pour l'époque, mais c'était un import américain (le disque a dû être distribué en import par le label français, car il n'est pas rare en France - je l'ai encore vu récemment à 10 F à Parallèles - mais il n'a jamais été pressé chez nous), et celui-là contenait "Hustler"s tango", et aussi les paroles : j'ai passé pas mal de temps à travailler dessus, je les ai même tapées à la machine à écrire et - sans tout comprendre à l'argot US de Lewis Furey - c'est avec ce disque que j'ai commencé à apprendre l'anglais.

Mais qui est Lewis Furey ? Et quelle musique fait-il, qui m'a tant passionné ?
Il est né au début des années 1950, probablement au Canada. A 11 ans, il est violoniste au sein de l'orchestre symphonique de Montreal. A 14 ans, il va à New-York suivre les cours de l'école Julliard. Et c'est là que ça se gâte, puisque, au bout de quelques temps, Lewis commence à fréquenter d'autres milieux new-yorkais que ceux de la musique classique : il joue du free jazz, publie des poèmes, écrit des scénarios de films pornos, fait la bande originale de ces films, et joue même dedans !(On trouve la trace de deux de ces films sur IMDB, co-écrits avec Steven Lack, qui fera les pochettes des trois albums de Lewis, et co-écrira les paroles d'une chanson du deuxème album, probablement extraite du film "The rubber gun").
Etonnament, quand ses parents ont vent de ce tournant dans sa carrière, ils lui coupent les vivres...!
Fréquentant les milieux underground, Lewis Furey, pianiste et surtout violoniste, commence à participer à des enregistrements. J'en ai retrouvé peu de traces, à l'exception d'un album de Cat Stevens, sur lequel il joue du violon sur un titre, et surtout de "New skin for the old ceremony" de Leonard Cohen (1975), sur lequel il joue du violon sur tout le disque. Cet album d'un canadien est produit par un canadien, John Lissauer, et on trouve parmi les musiciens Barry Lazarowitz, Jeff Layton, et John Miller, autrement dit toute l'équipe qui enregistre le premier album de Lewis Furey, paru sans titre sur A & M en 1975 (je ne sais pas, de "New skin" ou de "Lewis Furey", lequel a été enregistré le premier).

Lewis Furey, A & M, 1975Lewis Furey, A & M, 1975
Plus de vingt ans après, la pochette de cet album me fascine et me plaît toujours. Signée Steven Lack, donc, c'est un portrait en noir et blanc de Lewis Furey, les cheveux sales, mal rasé, avec quelques touches de couleur (jaune, rose, bleu), qui en soulignent certains aspects, comme un maquillage tapageur.
C'est le premier titre de l'album, "Hustler's tango", qui a marqué les esprits. Un tango des bas-fonds qui peut expliquer les références à Lou Reed : on n'est pas loin des ambiances de "Street Hassle" (qui ne sortira qu'en 78) et de ses coups de violon, et musicalement on est souvent un peu dans l'esprit de "Berlin". Un tango faustien de la pute, pour lequel le programme des spectacles de la Porte Saint-Martin en 1982 donne une référence surprenante, un poème de Jacques Prévert extrait de "Paroles", "Le combat de l'ange". Et effectivement, quand on lit les deux textes, les correspondances sont évidentes, puisqu'il est question dans les deux cas de match truqué, de ne plus pouvoir faire l'amour, et de combat avec l'ange...
Les thèmes des neuf autres chansons du disque tournent plus autour de relations amoureuses moins vénales ("The waltz", "Louise", "Caught you", "Lewis is Crazy", "Closing the door"). Sur "Kinda shy", connection A & M oblige, les choeurs sont tenus par Tim Curry et Cat Stevens. "Louise", avec ses quelques lignes en français ("Bien sûr je t'ai appris des choses qu'il ne fallait jamais que t'apprennes, Si je pouvais changer ce qui est fait tu n'aurais jamais, jamais quitté ta maman"), sera plus tard l'un des temps forts des spectacles de Lewis Furey, jouée en solo, les cordes de l'archet déchirées, tout comme les cordes vocales du chanteur.
Leslie, fan américain de Lewis et Carole, a eu la bonté de nous communiquer le dossier de presse diffusé par A&M lors de la sortie du disque. Lewis y fait notamment la remarque que cet album a été enregistré sans aucun son de guitare (il y a du banjo, de la mandoline, du violoncelle, du violon à la place...) et il commente chacune de ces chansons. Vous trouverez ces commentaires ici.
S'il ne s'est pas beaucoup vendu, l'album a visiblement connu au moins un succès critique. En France, il a notamment bénéficié du soutien de Jean-Bernard Hebey - plus ou moins le Bernard Lenoir de l'époque - qui officiait chaque soir sur RTL dans "Poste restante", avant, après ou en sandwich entre deux parties des "Routiers sont sympas", je ne sais plus. Comme je me souviens l'avoir entendu l'expliquer par la suite, il a passé et repassé "Hustler's tango" et poussé le label à éditer le disque en France (il sera non pas édité, mais bien distribué en import, donc).

The humours of Lewis Furey, A & M, 1976The humours of Lewis Furey, A & M, 1976
Le label, lui, souhaitait visiblement avoir un deuxième disque plus "vendable" à partir des potentialités de Lewis Furey. Ce sera "The humours of Lewis Furey". Ils l'ont donc envoyé pendant trois mois à Londres enregistrer sous la houlette de Roy Thomas Baker, surtout connu de moi pour ses productions chargée des disques de Queen (et aussi, bien plus tard, un album de Devo), la direction musicale étant confiée non plus à John Lissauer, mais à Graham Preskett (qu'on retrouve, parfois sous le nom de Prescott, sur le tube "Baker street" de Gerry Rafferty et sur l'album "Rainbow takeaway" de Kevin Ayers en 1978), et aucun des musiciens du premier album n'est présent.
25 ans après, à tête reposée, on sent bien que la rencontre des deux mondes n'a pas vraiment fonctionné : pris séparément et analysé, chacun des morceaux du disque est dans la droite ligne du premier album et aurait pu y figurer. Ce qu'il y a de nouveau, c'est un tempo accéléré et un son chargé sur certains morceaux ("Casting for love"), et un côté disco assumé sur "Top ten sexes" et "Who got the bag".
Lewis FureyLe "Hustler's tango" du disque, c'est "Rubber gun show", qui ouvre l'album. Ayant acheté le disque en France, je n'avais pas les paroles et je me demandais bien ce qu'était cette "rubber gun". J'ai fini par trouver un pressage américain du disque, à Londres en 80, chez Honest Jon's, sur Portobello Road. Mais les paroles, mêmes écrites, ne m'aidaient pas tant que ça, et j'ai fini par interoger un américain, le soir même dans le dortoir de l'auberge de jeunesse de Holland Park. Le gars a dû être assez interloqué, et n'avait pas de traduction facile à fournir. Au bout de quelques temps, il a fini par me dire que cette "arme en caoutchouc" (le titre d'un des films pornos de Steven Lack, mais je ne le savais pas alors), devait être une bite recouverte d'une capote !
David J. (de Bauhaus et ...) garde un bon souvenir de cet album (lire un extrait de son journal sur son site).

Après avoir tourné avec sa compagne Carole Laure sous la direction de Gilles Carle un film fantastique, "L'ange et la femme", présenté à Cannes en 1977 et primé au festival d'Avoriaz (Ce film, que je n'ai jamais vu, a une musique originale de Lewis Furey. Il comporte une scène d'amour d'anthologie entre Lewis et Carole, qui fut même reprise dans un magazine érotique en vidéo, "Electric blue", je crois. Si par hasard quelqu'un a une copie du film ou de sa musique, je suis preneur !), Lewis Furey rompt son contrat avec A & M et s'installe à Paris avec Carole. Il écrit les chansons de la pièce de Jean-Michel Ribes, "Jacky Parady", qui sera créée le 10 janvier 1978 au Théâtre de la Ville, et surtout, il donne son premier spectacle avec Carole Laure au Palace, du 16 au 27 novembre 1977, avec des arrangements de Jean-Claude Vannier (si quelqu'un a un enregistrement de ce spectacle, ou de celui de Bobino en 79, je suis plus que preneur !).

The sky is falling, RCA/Saravah, 1979Carole Laure, Alibis, RCA/Saravah, 1979Carole Laure, Alibis, RCA/Saravah, 1979
Il n'y a pas de date indiquée sur les disques, mais on peut raisonnablement penser que Lewis et Carole passent une bonne partie de l'année 1978 à enregistrer - à New-York - "The sky is falling", le troisième album de Lewis Furey - et "Alibis", le premier de Carole. Carole est également très occupée par sa première carrière, celle d'actrice. Elle est notamment à l'affiche de "Préparez vos mouchoirs", de Bertrand Blier, avec le duo des "Valseuses", Depardieu / Dewaere, qui obtiendra je crois l'Oscar du meilleur film étranger. Le film "Au revoir... à lundi" de Maurice Dugowson, avec Carole Laure, Miou-Miou (la troisème vedette des "Valseuses" !) et Claude Brasseur est aussi sûrement tourné en 78. Il sortira en 1979 avec une chanson titre signée Lewis Furey et chantée par Lewis et Carole. Le titre a été enregistré à Paris, sous la houlette de Graham Preskett. C'est ce que je retiens le plus du film, avec aussi l'apparition de Lewis dans le film, qui croise Carole en sortant d'un café ou d'une boutique un soir de réveillon.

Mais revenons aux deux albums, qui sortent simultanément, en mars 1979 je crois,juste avant le deuxième spectacle du duo à Bobino en avril, avec une forte campagne de promotion de leur nouveau label, Saravah/RCA. Les deux disques sont écrits et produits par Lewis Furey, mais on retrouve cette fois-ci John Lissauer aux arrangements et Leanne Ungar à la prise de son. Les musiciens sont aussi en grande partie ceux du premier album. Lewis Furey a abandonné (définitivement ou presque) son violon et ne joue plus que du piano.
On ne le sait pas encore, mais "The sky is falling" est le dernier album studio sous son nom seul de Lewis Furey... Le son est là encore très léché, avec des arrangements à la dramatisation marquée (montée de violons soulignée de piano et de percussions, choeurs féminins) sur les morceaux rapides notamment, comme pour "Jacky Paradise", qui ouvre l'album, une version de l'une des chansons de la pièce de Jean-Michel Ribes (comme "Desire machine", et "Baci baci" et "La valse de l'oubli" sur "Alibis"). Quelques titres sont proches du premier album ("Waiting on you", "Song to Lorca", très belle chanson d'amour à Carole Laure) et restent mes préférées, comme "Desire machine", au son plus "new wave" et "Circus melodie" avec son rythme reggae. On retrouve Tim Curry aux choeurs sur "Thieves", et seule la fin de l'album ("Big casino" et "Ordinary guy", reprise d' "Ordinaire" de Charlebois) m'a toujours paru un peu plus faible.
Carole Laure et Lewis Furey
L'album de Carole Laure, malgré la quasi simultanéité des enregistrements et la parution commune, n'est pas du tout une simple version féminine de "The sky is falling". Le son est plus acoustique, plus doux, les paroles sont en français, adaptées de l'anglais de Furey par une photographe, Dominique Isserman, dans un style plus romantique et littéraire que les originales. Et le choix des chansons est varié, puisqu'on trouve des versions de titres de "Lewis Furey" ("Lewis is crazy" et "Kinda shy"), une version de "Lullaby" de "Humours of...", la version en français de "Thieves" (seule chanson commune avec "The sky..."), les deux chansons de "Jacky Parady", deux chansons aux paroles co-écrites par Lewis et Carole, et quelques autres, dont "Croque la lune", qu'ils ont jouée sur scène en duo de pianos dès le Palace et et à tous leurs spectacles, souvent dans la version anglaise ("Reach for the moon").

Affiche du spectacle ˆ Bobino, 1979, par Bernatchez
En avril 1979, Lewis Furey et Carole Laure sont donc au théâtre Bobino pour un spectacle beaucoup plus médiatisé que le précédent, avec Europe 1 comme partenaire par exemple. J'y suis allé, bien sûr. Ce n'était peut-être pas la première fois que j'allais seul à Paris, ce 18 avril 1979, en tout cas c'était, à 16 ans, une des toutes premières fois. J'y suis allé en train, pour une de ces expéditions qui allaient devenir presque habituelles, à Paris ou à Londres, qui a commencé, j'imagine, par des étapes à la FNAC Rennes, à Music ACTION au carrefour de l'Odéon, et surout à Music Box, tout près, où j'ai dû acheter ce jour-là certains des 45t de Magazine que je chéris toujours et la deuxième édition du "spiral scratch" des Buzzcocks.
Mais, lycéen, je ne courais pas sur l'or, et comme je n'avais pas mon billet, je me suis retrouvé relativement tôt devant Bobino, sur le trottoir trop étroit de la rue de la Gaité, à attendre l'ouverture du bureau de location> ET j'ai vécu l'émotion la plus forte du spectacle, bien avant l'heure, quand j'ai vu Lewis et Carole arriver vers moi pour rentrer dans le théâtre. J'ai à moitié trébucher dans le caniveau pour leur laisser le passage, tandis qu'ils échangeaient quelques mots avec une personne avant de rentrer dans le théâtre. Ma première rencontre "en vrai" avec des vedettes, si on excepte l'inauguration du magasin de bricolage B3 de Châlons en 73, au cours de laquelle mon père avait réussi à me faire dédicacer par Zanini un exemplaire de son tube "Tu veux ou tu veux pas" (mais dans la cohue, il avait mal orthographié mon surnom...).
Lewis Furey et Carole Laure, dans Paris Match
De la soirée elle-même, je me souviens surtout de ce théâtre très classique avec ses pratiques auxquelles je n'étais pas habitué, comme les ouvreuses qui vous emmènent à votre place numérotée et vous donnent un programme en échange d'un pourboire qu'elles réclament si on ne fait pas mine de la donner ! (mais je me suis vengé à la fin du spectacle en ramassant par terre tous les programmes qui trainaient; ils ont ensuite tapissé le mur de ma chambre dans une composition savante, et il m'en reste encore quelques-uns). Musicalement, je me souviens surtout du contraste travaillé entre le quatuor à cordes du troisème âge et le choeur de quatre petites filles de dix ans - et surtout des voix surprenantes des quatre petites filles en concert -,et de la version de "Louise" par Lewis tout seul.
Lewis Furey et Carole Laure
Lewis et Carole étaient donc sur tous les fronts médiatiques en 79, et notamment sur Europe 1. RCA sortira même un 45t des "Petites filles", "Sauverais-tu ma vie ?", qui fera un mini-tube (il s'agit en fait plus ou moins de la musique de "See you monday", probablement enregistrée en même temps puisque c'est aussi Graham Preskett qui produit).

La grande affaire de 1980 , c'est la comédie musicale filmée de Gilles Carle, "Fantastica", dans laquelle jouent Carole Laure, Lewis et Serge ReggianiFantastica, RCA/Saravah, 1980. Lewis a fait toutes les musiques et les chansons. J'ai vu le film lors d'un voyage à Reims. Je me souviens de beaucoup de paillettes et de longues scènes de répétitions et de spectacles, visiblement dans la lignée de Bobino (il y a aussi des petites filles sur la BO du film), mais avec une augmentation conséquente des moyens à disposition, trait qui marquera la plupart des productions à venir. le film, présenté en ouverture du festival de Cannes, a dû passer au moins une fois à la télé. Il y a eu aussi une vidéo, que je me souviens avoir vue en vitrine de la librairie Michaud à Reims, mais je n'avais à l'époque ni magnétoscope, ni vraiment les moyens de me la payer.
La bande originale du film, sortie sur disque à l'époque, est intéressante. Elle est co-produite par Lewis Furey et John Lissauer. Internationalisation du marché du film oblige, j'imagine, toutes les paroles sont en anglais. Tant mieux pour la voix et les paroles de Lewis. Tant pis pour l'accent pas toujours parfait de Carole.
Ce disque est en fait un très bon album de Lewis et Carole ensemble. La face A est parfaite, et seul le plat de résistance "Lorca in three movements" et "Happy's in town" me plaisent moins.

En 1981, les deux premières fois que je règle ma radio sur La Radio Primitive à Reims (qui ne s'appelait pas encore comme ça), je tombe sur des extraits du premier Lewis Furey, diffusés par Raoul Ketchup. Un signe qui ne trompe pas, prélude à une longue histoire...
Affiche du spectacle au ThŽ‰tre de la porte Saint-Martin, 1982, par Bernatchez
On retrouve Lewis et Carole en février 1982 pour un troisième et dernier spectacle ensemble, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, qui connaitra un grand succès, et sera prolongé je crois. Un 45t inédit est publié pour promouvoir le spectacle, avec "I should have known" en face A, et "Slowly I married her" en face B, dont les paroles sont signées... Leonard Cohen. En fait, Lewis explique alors en interview qu'ils ont écrit ensemble un double-album conceptuel, "The Hall" ("La Salle") qu'il espère sortir sous forme de vidéo-disque. Dans le spectacle, il y en aura deux autres extraits, "I've counted what I have" et "Wishing window". Finalement, "The Hall" deviendra une comédie musicale filmée par Lewis Furey, "Night magic", qui sortira en 1985.
J'ai vu le spectacle de la Porte Saint-Martin deux fois, dont une avec un copain de classe, Philippe Clause, non pas le soir de la première, mais de la générale. Ce qui fait qu'à l'entracte, nous qui avions payé nos places nous sommes retrouvés mélangés à un parterre d'invités, dont de nombreuses vedettes (je ne me souviens que de Brigitte Fossey, qui était plus ou moins à ce moment à l'affiche de "Croque la vie" avec Carole Laure.
Enregistrement public au thŽ‰tre de la Porte Saint-Martin, RCA/Saravah, 1982
Il y a un disque live du spectacle, sorti en 82 mais réédité aussi en CD au début des années 90 par Saravah (comme pour "The sky is falling" et "Alibis"), qui reprend la moitié environ des chansons du spectacle : on peut donc s'en faire une bonne idée. La trame des dialogues/sketches entre Lewis et Carole est plus travaillée et serrée. Les petites filles choristes sont remplacées par des virtuoses hommes et femmes. Le disque a l'avantage d' "immortaliser" les fameuses versions lives de "Louise" et "Croque la lune", et propose la seule autre version enregistrée que je connaisse d'"Hustler's tango".

Lewis Furey avait visiblement arrêté sa carrière solo, et ses productions de plus en plus léchées s'éloignaient de plus en plus de mes goûts. Dans les années 80, il multiplie les collaborations. Il signe la musique d'un film ("L'opération beurre de pinotte") dont les chansons sont chantées par une jeune Céline Dion. Il écrit un titre sur l'album "Le rouge et le rose" de Jean Guidoni. Il cosigne avec Luc Plamondon, le co-auteur de "Starmania" avec Michel Berger, un titre pour Pétula Clark, "Glamoureuse". En 1985, étape logique après "Fantastisca", il réalise son premier film, "Night Magic", que je n'ai pas vu.
Night Magic, RCA/Saravah, 1985
C'est le fameux "The Hall", une comédie musicale avec un livret de lyrics inédit de Leonard Cohen, sorti en double album chez RCA/Saravah. Il y a comme dans Fantastica des parties mini-opéra avec choeurs que je n'aime pas trop, mais j'aime bien quand même "I've counted what I have", "Clap clap", et surtout "Fire", avec la belle voix grave de Lewis, et bien que ce morceau me fasse à chaque fois irrésistiblement penser à Dire Straits ! C'est d'ailleurs à ma connaissance le dernier disque où Lewis Furey chante, à part quelques interventions sur les disques de Carole Laure.

Le deuxième de ces disques, "Western shadows", est sorti en 1989. Malheureusement majoritairement en anglais - pas la langue natale de Carole Laure -, il est composé principalement de reprises du répertoire country, mais on note un origial de Lewis Furey, "Sorry", une reprise de Leonard Cohen, "Coming back to you", et surtout le traditionnel "Quand le soleil dit bonjour aux montagnes". Le disque a bien marché, grâce notamment à "Stand by your man" et à la version en français de "Save the last dance for me", et a donné lieu à un tour de chant de Carole Laure, qui est passé par Reims en 1990 je crois. Le spectacle était marqué par le travail de chorégraphie de Carole Laure, je dirais. Lewis Furey, metteur en scène, n'était pas sur scène, mais par contre il était à la table de mixage. Je suis allé le saluer après le concert, et je lui ai bien sûr demandé s'il comptait un jour refaire un disque où il chanterait et jouerait. Malheureusement, sa réponse négative ne me laissa pas beaucoup d'espoir...

En tant que réalisateur de clips, Lewis Furey a connu le succés, notamment avec Mecano (leur tube "Hijo de la luna", je crois). Ses films comme metteur en scène, par contre, ont eu peu de succès. Mais il triomphe depuis plusieurs années maintenant comme metteur en scène de la énième version de "Starmania", et j'imagine que financièrement sa retraite est assurée (sauf s'il a tout mis dans ses films !).
Il y a eu deux autres albums solo de Carole Laure. l'un dont je ne sais rien quasiment rien (il y avait une reprise de Hendrix dessus, je crois), et l'autre, "Sentiments naturels", sur lequel Lewis intervient sous le pseudonyme de Lafureur, en collaboration avec la fine fleur de la techno française (Dimitri, Mirwais, Etienne de Crécy,...), et avec aussi, je crois, la nouvelle génération, Clara Furey, leur fille. Je ne connais que le maxi "Passe de toi", sur lequel Lewis fait les choeurs.


Si cet article a éveillé votre attention, il ne vous reste plus qu'à fouiller les bacs des disquaires, en espérant y trouver les albums A & M...
Alors que j'avais à peine fini de rédiger cet article, je suis tombé sur un des titres du prochain album de Yann Tiersen, avec Lisa Germano aux vocaux, qui m'a fait fort pensé dans l'esprit à du Lewis Furey/Carole Laure de l'époque Fantastica... Deux semaines plus tard sortait un live de Leonard Cohen de 1979... Puis je tombe sur un sampler de "My favorite dentist is dead", qui reseemble fort à la Carole Laure de "Passe de toi"... Puis je me mets à écouter en boucles des enregistrements de 1972 de Kevin Ayers, à qui Lewis Furey a souvent été comparé... Puis je découvre la "Jazz suite" de Chostakovitch, qui me rapelle par certains côtés les musiques de Lewis Furey... Avec tout ça, je m'attendais à apprendre pour mon anniversaire qu'un label indépendant, A & M, un fan argenté ou la Rhino Handmade series rééditait les deux premiers albums de Lewis Furey... Mais mon voeu n'a pas encore été exaucé... (En fait, ces albums A & M ont été réédités au Japon en 2002, un an après la première, publication de cet article : on attend une édition européenne ; la production Saravah est plus facilement disponible, en partie en CD)
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